L'atelier de l'homme qui marche
Pour Vanessa et ses ateliers d'artistes, en attente de...
C’est le 1er décembre 1926 qu’Alberto Giacometti s’installe dans l’unique atelier de son existence parisienne, au 46 rue Hippolyte-Maindron dans le XIVe arrondissement de Paris.
Giacometti par Doisneau - 1957
Alberto Giacometti va passer près de 40 ans dans ce tout petit atelier sombre et poussiéreux. Une espèce de chaos, de désordre apparent, un lieu où même Annette, sa femme, n'avait pas le droit de déplacer les choses qui s'y trouvaient ni même de passer un chiffon sur les vitres recouvertes de cette poussière blanche ou grise qui filtrait la lumière. Le 46 de la rue Hippolyte Maindron, c'est le lieu de toute une vie.
De 1954 à 1958, Jean Genet se rend régulièrement poser dans l'atelier de Giacometti. Tandis que Giacometti travaille, Genet l'observe. Plusieurs portraits témoigneront de cette rencontre et un texte : L'Atelier de Giacometti, publié en 1958. ... Et c'est tout l'atelier qui vibre et qui vit. J'éprouve cette curieuse impression que, s'il est là, sans qu'il y touche, les statues anciennes, déjà achevées, s'altèrent, se transforment parce qu'il travaille à l'une de leurs sœurs. Cet atelier d'ailleurs, au rez-de-chaussée,va s'écrouler d'un moment à l'autre. Il est en bois vermoulu, en poudre grise, les statues sont en plâtre, montrant la corde, l'étoupe, ou au bout un fil de fer, les toiles, peintes en gris, ont perdu depuis longtemps cette tranquillité qu'elles avaient chez le marchand de couleur, tout est taché et au rebut, tout est précaire et va s'effondrer, tout tend à se dissoudre, tout flotte : or, tout cela est comme saisi dans une réalité absolue. Quand j'ai quitté l'atelier, quand je suis dans la rue c'est alors que plus rien n'est vrai de ce qui m'entoure. L'atelier d'Alberto Giacometti de Jean Genet aux Ed. Gallimard -Collection L'arbalete
En 1962, c'est désormais un maître reconnu, recherché et coté mais Giacometti s'entoure d'une pauvreté qui le protège, parce qu'elle tient à distance. Il vit et travaille dans l'atelier exigu et haut de plafond, sans aucun confort, travaillant jusqu'à l'épuisement, couvert de plâtre. Comme le voyait déjà Genêt en 1957, dans cet atelier un homme meurt lentement, se consume, et sous nos yeux se transforme en déesses.
Cet atelier cristallise en lui seul tout le processus créatif de Giacometti. En plus d’avoir quasiment été un lieu de vie, ce petit espace de 25m2 a concentré, tout au long de son existence, son travail acharné et son art : c’est là, dans ce lieu sombre et spartiate qui ressemble fort à une grotte, que Giacometti a conçu, étapes par étapes, ses œuvres singulières. C’est un lieu qui a une âme, chargé d’aura, symbole de la bohême parisienne et de la vie de l’artiste : il est à l’image même de l’interminable quête qui caractérise l’œuvre du sculpteur et du peintre. Il a d’ailleurs fini par lui ressembler : les murs usés et laminés rappellent forcément l’érosion de ses sculptures longilignes et émaciées.
(...) Les murs mêmes de l’atelier étaient pour Giacometti un support de création : au même titre que ses carnets d’esquisses, il dessinait dessus, de façon parfois compulsive. Graffitis, égratignures, dessins préparatoires, inscriptions ou traces de doigts font que les murs de l’atelier sont aujourd’hui considérés comme des œuvres à part entière. (texte tiré du blog Le Courant)
L’Homme qui marche * n’est pas la solitude. C’est un homme parmi d’autres, un arbre, une forêt.
Sources: -L'atelier d'Alberto Giacometti - de Jean Genet aux Ed. Gallimard -Collection L'arbalete et photos, tirées de ce même livre, de Ernest Scheidegger . A lire aussi: L’Atelier d’Alberto Giacometti sur le blog de Terres de femmes.