De l’impossibilité parfois d’écrire
Les sujets d’écriture ne me manquent pas, l’inspiration est là mais le quotidien dévore l’instant que je devrais consacrer à la création. J’ai beau m’organiser, déléguer certaines tâches, en négliger d’autres et même les ignorer, la vie banale me rattrape et m’étouffe. Je rue dans les brancards mais rien n’y fait ; il faut juste que j’accepte de partager mon espace et mon temps avec d’autres êtres qui ne se doutent pas de mon envie de créer.
Depuis un moment, les images se sont imposées et se sont substituées aux mots. Ecrire mes mots, décrire mes maux en m’inspirant des images de créateurs d’instants est devenu le meilleur moyen de m’exprimer en cette période si froide et si perturbatrice. Ma compagne de lecture de cet hiver s’appelle Sylvia Plath et elle ne cesse tout au long de ses Journaux et ses Letters Home de s’interroger sur la manière d’écrire ses poèmes, ses nouvelles et son roman et plus particulièrement après son mariage d’avec Ted Hughes, d’écrire tout en jonglant avec son couple et les questions domestiques propres à une bonne épouse (telle une américaine des années 50)
Lundi 25 février 1957 (…) Je commençais à craindre d’être en train de me laisser joyeusement aller à mon sens pratique et terre à terre. Au lieu d’étudier (…) ou d’écrire, je vais faire un gâteau aux pommes (…) Et je me disais, holà, attention, tu vas te réfugier dans le domestique (…) Et puis je viens d’ouvrir le merveilleux journal de Virginia Woolf que j’ai acheté samedi avec Ted (…) J’ai un peu le sentiment que ma vie est liée à la sienne. (…) Seulement il faut que j’écrive. Je me sens très mal cette semaine de n’avoir rien écrit ces derniers temps.
Lundi 4 mars 1957. Je suis dans une impasse, bloquée, pétrifiée. Gelée par une sorte de paralysie mentale. Comme si c’était une solution de me figer et de ne rien oser entreprendre. (…) Je n’écris rien. Mon roman (…) Je n’arrive pas à y entrer. (…) Je me sens vraiment non créative.
Lundi 20 janvier 1958 (…) En un sens, pour écrire des poèmes, il me faut avoir tout mon temps devant moi : ni repas à préparer, ni livre à faire.
Samedi 7 novembre 1959 (…) Il y a un danger à être si proche de Ted du matin au soir. Je n’ai pas de vie distincte de la sienne, et cours le risque de ne plus être qu’un simple accessoire. C’est important que je (…) sorte de mon côté, pense et travaille de mon côté. Il faut mener des vies séparées. Il faut que j’aie une vie intérieure qui me soutienne. (S. Plath)
Je n’ai jamais su très bien faire plusieurs choses à la fois ; longtemps dans ma jeunesse, lorsque j’aimais, plus rien n’existait que lui… Lorsqu' à 30 ans, je travaillais énormément dans la grande boutique et bien, la lecture n’était plus ma priorité… Lorsque j’ai eu mes filles, j’ai délaissé certains amis et enceinte de la troisième, j’ai quitté les cours de dessin tout juste commencés… Consciente de cet handicap restrictif et stérile d'antan, aujourd’hui je mène des activités diverses et variées ; je suis dans un couloir aux portes ouvertes et je passe de l’une à l’autre, sans me lasser mais un peu stressée tout de même… J’ai plein d’envies, de projets de vie, de découvertes, de rencontres et même d’un grand voyage… Je respire un grand coup et j’y vais ! NB/ je fais une cure d’au moins un mois de 11 vitamines, 9 minéraux et de ginseng…
Texte de caroline_8 , extrait des Journaux de Sylvia Plath et peinture de Sir William Rothenstein